Entretien avec Emilien Gailleton

Quelques heures après la défaite de la Section Palloise face au Stade Français pour le compte de la 8e journée de Top 14, retrouvez en intégralité l’interview d’Emilien Gailleton. Inscrit pour la 5e fois d’affilée sur une feuille de match de Top14 (4 titularisations), le franco-britannique de 19 ans connaît une ascension fulgurante depuis quelques mois. En toute franchise, il a accepté de répondre à mes questions il y a quelques jours.


Né à Londres le 13 juillet 2003, Emilien n’a pas le temps d’apprendre à découvrir l’Angleterre que ses parents décident de déménager dans la région française lotoise, plus précisément à Cahors. Ville de rugby, la citée cadurcienne a notamment vu éclore Abdelatif Benazzi ou encore Philippe Benetton. Et si le prochain de la liste se nommait Emilien Gailleton ? En tous cas, c’est sur la bonne voie et le Cahors Rugby peut déjà se vanter d’avoir vu grandir un des plus grands espoirs du rugby français. Pourtant, l’histoire entre l'ovalie et Emilien ne coulait pas de source. « Je n’étais pas passionné par le rugby initialement mais plus par le sport. Je suis quelqu’un d’énergétique qui a besoin de se défouler ». On remerciera donc un de ses meilleurs amis d’enfance de l’avoir initié puisque depuis, sa vie ne tourne qu’autour d’un ballon ovale, sans mauvais jeu de mot. A l’âge de 13 ans, il quitte le Lot pour le Lot-et-Garonne ou plutôt pour l’SU Agen. Cela représente déjà une certaine étape de vie puisqu’il a fallu se détacher du cocon familial de façon précoce, quitter tous ses amis d’enfance et notamment Emile Poussou qui m’a loué ses caractéristiques humaines. «A son départ, je craignais qu’on tombe tous dans le déni. Mais avec le temps, je me suis aperçu qu’Emilien n’oubliera jamais ses amis d’enfance et tous les gens qui lui ont permis d’en être là aujourd’hui. C’est un mec simple, qui a la tête sur les épaules et qui débordent d’énergie et de bonne humeur ».

Ses débuts à Agen

A 90km de chez lui, Emilien poursuit son évolution et continue de jouer son rugby qui va lui permettre d’accéder aux catégories supérieures plus rapidement que le veut le schéma habituel. L’idée de le surclasser traîne dans les tuyaux d’Armandie (stade d’Agen) depuis bien longtemps mais c’est Julien Guiard, entraîneur des espoirs, qui va prendre la responsabilité de l’envoyer avec le groupe professionnel, à ce moment-là, en Pro D2 (division 2 française). Pourtant, entre-temps, la France a été plongé dans une situation de crise sanitaire historique, qui rassemblait tous les critères pour ralentir la progression d’Emilien. A l’image de son caractère, c’est bien tout l’inverse qui va se produire. « Cette situation m’a été plus que bénéfique. Elle m’a permis de me recentrer sur moi-même et de travailler les choses que j’avais moins le temps de faire avant. Ça va de la proprioception à mon explosivité ou tout ce qui touche à la vitesse » dixit Emilien Gailleton. De retour à la normalité, sa progression passe la vitesse supérieure et le 15 octobre 2021, il connaît sa première titularisation en ProD2 sur le terrain de Vannes. Par la suite, il enchaîne 5 autres apparitions et marque quelque temps après, son premier essai en professionnel sur la pelouse de Carcassonne après une offensive de plus de 40 mètres. « C’était une véritable joie et fierté de marquer ce premier essai surtout que c’est sur un de mes points forts, la contre-attaque ». Pour la petite anecdote, cette saison, il ne perdra pas une seule fois à Armandie, chose qui était rare puisqu’à son arrivée dans le groupe professionnel, l’SUA était dernier avec 4 points en 7 journées…

Son histoire avec l'Equipe de France

Dans le sport, lorsqu’un athlète performe avec son club, il est dans la grande majorité du temps sélectionné pour jouer en équipe nationale. C’est donc un semblant de graal puisque comme Emilien nous a dit, « c’est un rêve d’enfant. Tout le monde ou presque rêvent de jouer pour son pays ». Déjà flashé par les radars des sélectionneurs des catégories jeunes de l’Equipe de France, Emilien se fait surclasser chez les Espoirs avec qui il va participer au Tournoi des VI Nations 2021. Le rêve bleu ne fait que commencer puisqu’il disputera la globalité de 3 rencontres sur 5 possibles. Ses prestations ne sont pas passées inaperçues dans le monde du rugby et notamment du côté d’Olivier Campan, son entraîneur à Agen. « Je dirai qu’il ressemble presque à notre monstre sacré du rugby agenais, Philippe Sella. Franchement, je pense qu’il ne finira pas loin… » disait-il à nos confrères de Petit Bleu d’Agen. Par la suite, il est convoqué par Fabien Galthié pour être partenaire d’entraînement du XV de France avant leur match face aux All Blacks. « C’était très impressionnant. Ils font exactement la même chose que nous juste avec un degré de vitesse et de précision plus élevé. C’était incroyable de jouer avec eux » me confiait-il. Juste après, Emilien Gailleton est de nouveaux sélectionné pour le Tournoi des VI Nations U20. A contrario, il y dispute la totalité des matchs et notamment celui contre l’Ecosse où il est capitaine pour la première fois et marque même un essai. « Je me rappelle cette soirée comme si c’était hier. Porter ce maillot est une véritable fierté, qui plus est avec le brassard. C’est comme un amiral à l’armée, on a envie de mener sa troupe au combat pour défendre son pays. Ça m’a également beaucoup aidé dans mon leadership, domaine dans lequel j’avais du mal, et j’en suis énormément reconnaissant [envers mes entraîneurs] » soulignait-il. Des matchs ont eu lieu depuis et il est toujours l’actuel capitaine des Bleuets…

Sa signature à la Section Paloise

Les premières louanges des plus grands commencent à fleurir et les plus prestigieuses écuries font de l’œil à Emilien. Parmi elles, on relève la Section Paloise, le Stade Toulousain ou encore l’ASM Clermont Ferrand. Fan d’haute montagne et de l’environnement qu’elles créent autour, c’est bien dans le Béarn qu’Emilien Gailleton signe un bail de 3 ans. Conquis par le discours et le projet bâtit autour des jeunes de Sebastien Piqueronies, le manager de Pau, c’est pour lui l’endroit le plus sein pour son développement et pour essayer d’engranger la moindre minute de Top14 qui lui sera offerte. Pourtant, ses débuts se résument à bien plus que de simples minutes jouées puisqu’il réalise sa première contre le Stade Toulousain, dans un Hameau plein a craquer et en fête après la victoire paloise. D’autant plus que dans la tribune, il y avait son ami Emile qui nous a confiait vivre « un rêve éveillé ». Il enchaîne ensuite 2 autres titularisations contre Montpellier et Toulon et marque son premier essai sur la pelouse de l’Altrad Statidum. La pépite agenaise continue de « crever l’écran » aux yeux du grand public comme dirait l’expression, mais également en interne. Interrogé en vue de l’interview, Romain Bourdiol, responsable de la performance à Pau, nous disait qu’Emilien est « très investi au quotidien et s’entraîne fort. C’est un joueur qui s’est grandement développé sur ses qualités de force et de vitesse. A côté, il a toujours avec lui cette énergie positive qu’il essaye de transmettre aux autres. C’est très appréciable et valorisant d’entraîner un joueur comme ça au quotidien car il nous pousse à devenir meilleur ». En surfant sur la dynamique de la saison dernière - qui lui a valu la nomination avec 2 autres adversaires pour être la meilleure révélation de ProD2 -, Emilien aspire à s’épanouir dans un championnat plus à son gout en étant basé davantage sur l’offensive que le précédent.

Son double projet

La scolarité fait partie des raisons pour lesquelles il a signé à Pau. En effet, suivant une formation STAPS, pour devenir préparateur physique ou mental, le trajet jusqu’à son établissement joue forcément. Pendant qu’il jouait à l’SUA, il devait se déplacer jusqu’à Bordeaux (140km) alors que maintenant, faudra simplement aller à Tarbes (45km). Puis, contrairement à certains athlètes qui mettent de côté les études pour se concentrer entièrement sur le sport et tout miser dessus, Emilien lui, les prend vraiment au sérieux. « C’est un peu mon plan B. D’une part, il faut toujours prévoir quelque chose derrière le rugby, car je ne me le souhaite pas, mais une blessure peut vite arriver. D’une autre, cela me permet de penser à autre chose et de sortir de ma routine sportive » me disait-il. Puis le bon déroulé de sa scolarité est aussi une chose sur laquelle veillent ses parents. Interrogé auparavant, son père me confiait que les études sont vraiment leur préoccupation car c’est important de maintenir ce double projet. Puis, c’est un des principaux sujets de discussion lorsque le paternel s’entretient avec son fils, « si je le questionne un peu trop sur la partie rugby, je sais que je risque de l'agacer » me glissait-il. « Notre soutient se limite à celui de parents. Nous lui donnons des conseils pratiques sur sa nouvelle vie (appart, assurance, formalités…). Nous restons toujours à son écoute pour identifier des périodes de doutes ou de “moins bien”. Puis je le conseille quand il me le demande ». A défaut de lui avoir transmis cette passion pour le monde de l’ovalie, puisque ses seules expériences de rugby se résument « au Tournoi des six Nations à la télé et rugby flag au sein d'une équipe de copains, autant pour l'exercice que pour les soirées d'après entraînement », Denis Gailleton croit en son fils et son destin de rugbyman depuis le début. Il l’a toujours amené à chaque entraînement et match, et continue aujourd’hui à se déplacer dans les stades aux quatre coins de la France. « Je n'ai jamais compté les kms “rugby” mais ils comptent pour plus de la moitié du compteur de la voiture » soulignait-il….

L'anecdote

Un boxeur, lui, a un « sparing-partenaire » qui l’accompagne durant ses entraîneurs. Emilien Gailleton, lui, a un carnet. « J’ai commencé à écrire dessus avec mon prépa mental (il y a 2 ans) au début de mes consultations et depuis je l’utilise un peu comme un journal intime. A chaque moment de doute, j’écris tout ce que je pense et ça me permet de passer à autre chose. Je l’utilise aussi pour noter des anecdotes par exemple ».


Le mot de la fin, si Emilien Gailleton n’était pas rugbyman, il serait «guide de haute montagne »…



Soane Deltour